Le tutorat inversé : quand les équipes dirigeantes apprennent de la nouvelle génération

Mara Gurtner et Ingo Sawilla prennent leur déjeuner au restaurant d'entreprise « Blautopf », au siège principal de TRUMPF à Ditzingen. Aujourd'hui, on sert des pommes de terre au four avec une sauce aux herbes et du curry thaïlandais au riz. C'est Mara Gurtner qui parle, et Ingo Sawilla l'écoute. Elle a 19 ans et est une ancienne apprentie de TRUMPF. Il a 56 ans et fait partie des vieux de la vieille chez le constructeur de machines. Employé depuis 22 ans, il est désormais coordinateur de la gouvernance des données, c'est à dire responsable de l'utilisation effective des données dans l'entreprise. Cette rencontre autour d'un déjeuner ne relève pas du hasard : tous deux se sont inscrits à un programme interne de tutorat il y a plus d'un an, organisé par le service formation de TRUMPF. Il serait facile d'imaginer que c'est lui, le plus âgé et le plus expérimenté, qui joue le rôle de tuteur en prenant sous son aile sa jeune collègue sans expérience. Qu'il lui prodigue des conseils tout en partageant son expérience. Mais il n'en est rien. Chez TRUMPF, il se passe exactement l'inverse. Le programme s'appelle « tutorat inversé » (reverse mentoring en anglais). L'apprenti joue le rôle de tuteur et le dirigeant devient l'apprenant. Le succès de ce concept ne fait aucun doute chez TRUMPF depuis l'introduction du programme en 2017 : les plus âgés peuvent effectivement apprendre des plus jeunes. Et particulièrement en matière d'utilisation et de gestion des réseaux sociaux, par exemple.

« Quand j'ai entendu parler de l'offre de tutorat inversé, j'ai tout de suite trouvé ça cool. J'ai eu envie de participer », se souvient Mara Gurtner. Après tous ces mois de tutorat, elle est loin d'être déçue. C'est peut-être aussi parce que, lors de la constitution des binômes, l'équipe RH lui a attribué Ingo Sawilla, tout aussi motivé qu'elle par ce programme de tutorat inversé. « Pour moi, il s'agissait surtout d'une expérience au départ, autour de la question centrale des générations. Qu'est ce qui intéresse les jeunes ? Est-ce que je fais déjà partie des vieux dinosaures ? Mon objectif était de dialoguer avec les jeunes. Et ça s'est très bien passé avec Mara », témoigne Ingo Sawilla.

Mara Gurtner est encore en deuxième année d'apprentissage lorsqu'elle rencontre Ingo Sawilla pour la première fois. En raison de la pandémie de Covid, les premières rencontres sont entièrement numériques. Malgré la distance physique, le binôme parvient à établir une relation ouverte et de confiance. « On s'est vite bien entendus et on s'est bombardés de questions, mais toujours sur un pied d'égalité », explique Mara Gurtner. Les thèmes ont été variés. Il a évidemment été question des réseaux sociaux : Snapchat, Instagram ou TikTok. « Au sujet des réseaux sociaux, Ingo en savait plus que je ne l'aurais imaginé. Il est déjà bon techniquement, grâce à son travail, et il a des enfants. Mais il ne comprenait pas toujours pourquoi je suivais tel ou tel influenceur sur Instagram », sourit Mara Gurtner. Le binôme aborde aussi le sujet des podcasts pendant les échanges. En effet, Ingo Sawilla voit tout le potentiel de ce format pour diffuser dans l'entreprise des informations sur l'utilisation et la protection des données, un sujet qui lui tient à cœur. Les connaissances et l'avis de sa jeune tutrice en matière de podcasts tombent donc à point nommé.

Toutefois, le tutorat inversé ne se limite pas au simple partage de connaissances. « Un contact se crée entre deux personnes qui ne se rencontreraient probablement pas dans leur quotidien professionnel », précise Judith Richter, Head of Business Apprenticeship chez TRUMPF. Le programme de tutorat constitue une opération gagnant-gagnant pour l'entreprise : les jeunes employé(e)s ont ainsi la possibilité de s'intégrer à l'entreprise, tandis que l'équipe dirigeante, plus expérimentée, a l'occasion de se familiariser avec les thématiques de la jeunesse. Ces dernières années, plus de 90 apprentis et dirigeants se sont rencontrés dans ce cadre. Et leur nombre devrait encore augmenter, car le programme favorise la culture d'entreprise et la compréhension de l'autre.

Ingo Sawilla est lui aussi ouvert à la nouveauté. Il veut apprendre de sa tutrice, ce qui a surtout été le cas lorsque les rencontres physiques sont redevenues possibles. « C'est nettement mieux qu'une conversation sur Teams, c'est sûr. Que ce soit pendant la pause déjeuner ou le temps d'une promenade sur le campus TRUMPF, j'ai souvent écouté Mara avec beaucoup d'intérêt. Ses opinions claires m'ont beaucoup plu et m'ont régulièrement été utiles dans mon travail », reconnaît Ingo Sawilla. En tant que tutrice, Mara Gurtner a, elle aussi, clairement tiré profit du tutorat inversé. « En participant au programme, je voulais sortir de ma zone de confort et j'y suis arrivée. Mon rôle de tutrice m'a permis de sortir progressivement de ma réserve, je suis beaucoup plus ouverte qu'avant », explique-t-elle du haut de ses 19 ans.

Au bout d'un an, le programme est officiellement terminé pour les deux participants. Mais Mara Gurtner et Ingo Sawilla essayent de poursuivre leurs rencontres. Ils considèrent le programme comme une opportunité pour leurs collègues de TRUMPF de dialoguer les un(e)s avec les autres. « J'aimerais qu'à l'avenir nous fassions avancer les choses ensemble, peu importe notre âge. L'individualisme est sans avenir, c'est une évidence pour moi. Seul le collectif permet de résoudre les choses, sans notion de hiérarchie », estime Ingo Sawilla.

Au sein du binôme, les sujets ne manquent pas. « Il y a beaucoup de choses à dire, que ce soit sur la politique internationale, les défis économiques actuels ou les méthodes de travail de demain. Mais aujourd'hui, autour de pommes de terre au four et d'un curry thaïlandais, le sujet est léger : nous parlons de nos prochains projets de vacances », explique Mara Gurtner en riant. Et c'est bien normal. De telles discussions prouvent aussi la qualité du binôme de tutorat inversé.